Article "Le Monde Diplomatique" - mars 2013
"Gaz de Schiste : la grande escroquerie"
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"Gaz de Schiste : la grande escroquerie"
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Dans les kiosques - extraits :
"Energie bon marché contre pollution prolongée : aux Etats-Unis, le dilemme relatif à l’exploitation des gaz et pétrole de schiste n’a tourmenté ni les industriels ni les pouvoirs publics. En moins d’une décennie, ces nouvelles ressources auraient aiguillé l’Amérique sur les rails de la croissance, dopé l’emploi, rétabli la compétitivité. Et si cette "révolution" n’était qu’une bulle spéculative sur le point d’éclater ?
[...] La fragilité de la reprise autant que les expériences récentes devraient inciter à la prudence vis-à-vis de tels engouements. L'économie espagnole, par exemple, naguère florissante - quatrième puissance de la zone euro en 2008 - se délabre depuis que la bulle immobilière à laquelle elle s'accrochait aveuglément a éclaté sans prévenir. La classe politique a tiré peu d'enseignements de la crise de 2008 ; la voilà sur le point de répéter les mêmes erreurs dans le secteur des énergies fossiles.
Une enquête du New York Times de juin 2011 révélait déjà quelques fissures dans la construction médiatico-industrielle du "boom" des gaz de schiste, [...] quant aux effets d'annonce des compagnies pétrolières, soupçonnées de surestimer délibérément leurs exploitations et le volume de leurs gisements (1) [...].
Début 2012, deux consultants américains tirent la sonnette d'alarme dans Petroleum Review, la principale revue de l'industrie pétrolière britannique. Tout en s'interrogeant sur la fiabilité et la durabilité des gisements de gaz de schiste américains, ils révèlent que les prévisions des industriels coïncident avec les nouvelles règles de la Securities and Exchange Commission (SEC), l'organisme fédéral de contrôle des marchés financiers. Adoptées en 2009, celles-ci autorisent en effet les compagnies à chiffrer le volume de leurs réserves comme bon leur semble, sans vérification par une autorité indépendante (2). Pour les industriels, la surestimation des gisements de gaz de schiste permet de faire passer au second plan les risques liés à leur exploitation [...].
Les spécialistes en placements financiers ne sont pas dupes. L'économie de la fracturation est une économie destructrice, avertit le journaliste Wolf Richter dans Business Insider (4). L'extraction dévore le capital à une vitesse étonnante, laissant les exploitants sur une montagne de dettes lorsque la production s'écroule [...].
Géologue ayant travaillé pour Amoco (avant sa fusion avant BP), M. Arthur Berman se dit lui-même surpris par le rythme incroyablement élevé de l'épuisement des gisements [...]. Pour s'assurer des résultats stables, les exploitants vont devoir forer presque mille puits supplémentaires chaque année sur le même site. Soit une dépense de 10 à 12 milliards de dollars par an... Si on additionne tout cela, on en arrive au montant des sommes investies dans le sauvetage de l'industrie bancaire en 2008 [...].
Pour financer la ruée vers l'or, il a fallu emprunter des sommes astronomiques à des conditions complexes et exigeantes, Wall Street ne dérogeant pas à ses règles de conduite habituelles. Selon Dizard [analyste au Financial Times], [...] compte tenu du rendement éphémère des puits de gaz de schiste, les forages vont devoir se poursuivre. les prix finiront par s'ajuster à un niveau élevé, et même très élevé, pour couvrir non seulement les dettes passées, mais aussi des coûts de production réalistes [...].
[Selon l'équipe de David King, dans une étude publiée par la revue Energy Policy], si d'immenses quantités de ressources fossiles restent certainement nichées dans les profondeurs de la Terre, le volume de pétrole exploitable aux tarifs que l'économie mondiale a l'habitude de supporter est limité et voué à décliner à court terme (9).
En dépit des trésors de gaz arrachés aux sous-sols par fracturation hydraulique, la diminution des réserves existantes se poursuit à un rythme annuel estimé entre 4,5 et 6,7% par an. King et ses collègues récusent donc catégoriquement l'idée selon laquelle l'exploitation des gaz de schiste pourrait résoudre la crise énergétique [...].
Ces travaux n'ont retenu l'attention ni des médias ni des milieux politiques, submergés par la rhétorique publicitaire des lobbyistes de l'énergie. C'est regrettable, car leur conclusion se comprend facilement : loin de restaurer une quelconque prospérité, les gaz de schiste gonflent une bulle artificielle qui camoufle temporairement une profonde instabilité structurelle. Lorsqu'elle éclatera, elle occasionnera une crise de l'approvisionnement et une envolée des prix qui risquent d'affecter douloureusement l'économie mondiale".
"Energie bon marché contre pollution prolongée : aux Etats-Unis, le dilemme relatif à l’exploitation des gaz et pétrole de schiste n’a tourmenté ni les industriels ni les pouvoirs publics. En moins d’une décennie, ces nouvelles ressources auraient aiguillé l’Amérique sur les rails de la croissance, dopé l’emploi, rétabli la compétitivité. Et si cette "révolution" n’était qu’une bulle spéculative sur le point d’éclater ?
[...] La fragilité de la reprise autant que les expériences récentes devraient inciter à la prudence vis-à-vis de tels engouements. L'économie espagnole, par exemple, naguère florissante - quatrième puissance de la zone euro en 2008 - se délabre depuis que la bulle immobilière à laquelle elle s'accrochait aveuglément a éclaté sans prévenir. La classe politique a tiré peu d'enseignements de la crise de 2008 ; la voilà sur le point de répéter les mêmes erreurs dans le secteur des énergies fossiles.
Une enquête du New York Times de juin 2011 révélait déjà quelques fissures dans la construction médiatico-industrielle du "boom" des gaz de schiste, [...] quant aux effets d'annonce des compagnies pétrolières, soupçonnées de surestimer délibérément leurs exploitations et le volume de leurs gisements (1) [...].
Début 2012, deux consultants américains tirent la sonnette d'alarme dans Petroleum Review, la principale revue de l'industrie pétrolière britannique. Tout en s'interrogeant sur la fiabilité et la durabilité des gisements de gaz de schiste américains, ils révèlent que les prévisions des industriels coïncident avec les nouvelles règles de la Securities and Exchange Commission (SEC), l'organisme fédéral de contrôle des marchés financiers. Adoptées en 2009, celles-ci autorisent en effet les compagnies à chiffrer le volume de leurs réserves comme bon leur semble, sans vérification par une autorité indépendante (2). Pour les industriels, la surestimation des gisements de gaz de schiste permet de faire passer au second plan les risques liés à leur exploitation [...].
Les spécialistes en placements financiers ne sont pas dupes. L'économie de la fracturation est une économie destructrice, avertit le journaliste Wolf Richter dans Business Insider (4). L'extraction dévore le capital à une vitesse étonnante, laissant les exploitants sur une montagne de dettes lorsque la production s'écroule [...].
Géologue ayant travaillé pour Amoco (avant sa fusion avant BP), M. Arthur Berman se dit lui-même surpris par le rythme incroyablement élevé de l'épuisement des gisements [...]. Pour s'assurer des résultats stables, les exploitants vont devoir forer presque mille puits supplémentaires chaque année sur le même site. Soit une dépense de 10 à 12 milliards de dollars par an... Si on additionne tout cela, on en arrive au montant des sommes investies dans le sauvetage de l'industrie bancaire en 2008 [...].
Pour financer la ruée vers l'or, il a fallu emprunter des sommes astronomiques à des conditions complexes et exigeantes, Wall Street ne dérogeant pas à ses règles de conduite habituelles. Selon Dizard [analyste au Financial Times], [...] compte tenu du rendement éphémère des puits de gaz de schiste, les forages vont devoir se poursuivre. les prix finiront par s'ajuster à un niveau élevé, et même très élevé, pour couvrir non seulement les dettes passées, mais aussi des coûts de production réalistes [...].
[Selon l'équipe de David King, dans une étude publiée par la revue Energy Policy], si d'immenses quantités de ressources fossiles restent certainement nichées dans les profondeurs de la Terre, le volume de pétrole exploitable aux tarifs que l'économie mondiale a l'habitude de supporter est limité et voué à décliner à court terme (9).
En dépit des trésors de gaz arrachés aux sous-sols par fracturation hydraulique, la diminution des réserves existantes se poursuit à un rythme annuel estimé entre 4,5 et 6,7% par an. King et ses collègues récusent donc catégoriquement l'idée selon laquelle l'exploitation des gaz de schiste pourrait résoudre la crise énergétique [...].
Ces travaux n'ont retenu l'attention ni des médias ni des milieux politiques, submergés par la rhétorique publicitaire des lobbyistes de l'énergie. C'est regrettable, car leur conclusion se comprend facilement : loin de restaurer une quelconque prospérité, les gaz de schiste gonflent une bulle artificielle qui camoufle temporairement une profonde instabilité structurelle. Lorsqu'elle éclatera, elle occasionnera une crise de l'approvisionnement et une envolée des prix qui risquent d'affecter douloureusement l'économie mondiale".